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Elle s’appelle Isabelle Barth et elle a un CV long comme la muraille de Chine.
Elle est autrice de plusieurs ouvrages, chercheuse en management, professeure d’université, ex-directrice de l’EM Strasbourg puis de l’INSEEC… et mère de 6 enfants !
Nous avons eu la chance de faire intervenir cette « dealeuse de connaissances » sur notre podcast Coonter, pour nous parler équilibre vie pro/vie perso, réflexivité, leadership et soft skills.
La théorie du temps augmenté
Comment fait-elle, en tant que professionnelle multi-casquettes, pour conjuguer sa vie de famille - avec ses 6 enfants - et sa vie professionnelle ?
Isabelle Barth nous partage ses secrets :
« Je crois que je suis une sorte de championne de la conciliation vie privée vie professionnelle. Premièrement, je n’ai pas beaucoup de besoins de sommeil, c’est une chance. Et puis j’ai une bonne santé. Mais surtout, il faut avoir confiance dans la vie et dans ses enfants, en les laissant très vite être autonomes et avancer. Il faut être une mère suffisamment bonne mais surtout pas vouloir être une mère parfaite. »
[04:52 - 05:36]
Selon elle, il ne faut pas opposer travail et vie de famille, comme si l’un représentait un boulet pour l’autre.
Au contraire, la théorie du temps augmenté fait de ces deux aspects de sa vie deux moteurs qui se donnent réciproquement de la force :
« Mes enfants et mon mari me donnent une puissance, une énergie que je peux remettre dans mon travail ; et mon travail me donne une énergie pour aller vers mes enfants »
[05:41 - 05:50]
C’est une vision de la vie qui est à l’opposé de la théorie des vases communicants, selon laquelle l’énergie consacrée à son travail représente de l’énergie en moins à donner à sa vie de famille.
« Il s’agit de regarder les choses un peu différemment. Se dire que le temps passé avec les enfants n'est pas du temps volé au travail ; et qu’au travail, un dossier qui est fini à quatre-vingt-dix pour cent mais qui est terminé, c'est peut-être suffisant. Il faut se demander “Mais pourquoi je me suis enfermée dans cette vision des choses ?”, “Pourquoi je veux absolument travailler comme ça ?”, “Pourquoi je veux absolument que les gens fonctionnent comme ça ?” Ça me permet de résister à des échecs, à des pressions, à des difficultés, puis tout simplement à gérer mes vingt-quatre heures. »
[06:58 - 07:58]
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La réflexivité, un soft skill essentiel
Connaissez-vous la différence entre ces deux tableaux ?
Spoiler : il n’y en a pas.
Ce sont deux mêmes versions du Radeau de La Méduse.
Seule différence : à gauche, on l’observe à 2 mètres de distance. A droite, à seulement quelques centimètres.
Pourquoi on vous parle de ça ?
Parce que dans la vie, c’est pareil : la distance avec laquelle on regarde les choses peut transformer la perspective qu’on s’en fait.
« La capacité à se regarder faire est très très importante. Pour moi, c’est la reine des compétences douces (soft skills). C’est aussi la capacité à prendre du recul. Par exemple, vous allez au musée d’Orsay pour voir des tableaux d’impressionnistes. Si vous vous collez contre un tableau de Monet, vous ne verrez que des tâches. Alors que si vous reculez ne serait-ce que de deux pas, vous verrez un bateau, une ville en fête, un jardin avec des fleurs… Dans la vie, c’est pareil. Souvent, on ne voit plus rien, on est myope. On avance enferré dans ses propres problèmes, ses propres convictions et des fois, il suffit de prendre un tout petit peu de recul pour que les choses se remettent en place. »
[08:58 - 10:00]
Isabelle Barth évoque ici le principe de la réflexivité, qui consiste à « marcher et à se regarder marcher », disait Fernagu Oudet Solveig.
C’est la capacité qu’a un individu de se tourner vers lui-même pour s’analyser.
Selon Barriault (2016), la pratique réflexive consiste à porter un regard critique sur son propre fonctionnement en se posant les questions suivantes :
- Que se passe-t-il ?
- Pourquoi cela se passe-t-il ?
- Comment cela se passe-t-il ?
- Que peut-on améliorer ?
Dans le monde professionnel, la réflexivité est d’autant plus importante qu’elle permet de s’améliorer en continu et de ne pas foncer tête baissée.
Par exemple, avant de bosser 100 heures par semaine pour faire tourner votre cabinet, demandez-vous pourquoi vous devez passer autant de temps à travailler : est-ce qu’il vous manque des compétences ? Est-ce que vous avez du mal à déléguer ?
Et si c’est le cas, pourquoi avez-vous du mal à déléguer ? Parce que ne faites pas confiance aux autres ? Parce que vous pensez que vous êtes le seul à être capable d’exécuter certaines tâches ?
Cette pratique réflexive est importante pour prendre du recul et sortir de cette « roue de hamster » dans laquelle on peut rapidement être bloquée.
« Sur des sujets comme ça, tenez régulièrement un petit journal de bord où vous notez ce que vous avez fait dans la journée, ce que vous avez bien fait, ce que vous avez mal fait, pour ensuite le relire et prendre ce recul dont je parlais, parce qu'autrement qui va le faire à votre place ? »
[13:11 - 13:32]
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Leadership et management, les talons d’Achille de la filière comptable ?
Il n’y a pas longtemps, avec Les Geeks des Chiffres, on a demandé aux 12 000 anciens étudiants que nous avons aidé avec le DCG/DSCG s’ils avaient des griefs à faire à la profession.
Beaucoup d’entre eux ont répondu la même chose : il n’y a pas de personnes avec suffisamment de leadership et ils ne savent pas manager.
Pour Isabelle Barth, « le leader, c'est quelqu'un qu'on a envie de suivre parce qu'il rend le monde intelligible ».
Mais alors, quelle différence entre leadership et management ?
Le manager se définit par la gestion des ressources. C'est quelqu'un qui va optimiser les ressources matérielles, temporelles, humaines. Il se positionne dans un objectif d’efficacité et d’efficience.
« Dans le monde du travail, on ne peut pas être un manager qui dure sans être un peu un leader, mais on ne peut pas être un leader qui dure sans être un peu un manager. Et moi je rajoute un troisième tiers, c'est le coaching. J’appelle ça “coaching”, mais c'est la notion de proximité qui importe. Et ce que je dis toujours, c’est que pour être un bon manager, un vrai bon manager, il faut ces trois ingrédients. »
[17:13 - 17:42]
Mais alors, est-ce possible de « développer le muscle du leadership » en soi ?
La réponse est oui !
C’est comme n’importe quelle discipline, certains ont des facilités naturelles, mais ce n’est pas un don inné avec lequel on naît ou ne naît pas.
Conduire une réunion, parler en public, mener un entretien d’évaluation, savoir dire non… tout cela s’apprend.
« On attribue à tort au leader des sortes de qualités innées - en particulier des soft skills - alors qu'en fait, il y a des vrais hard skills du leadership comme il y a des vrais hard skills du management. »
[22:59 - 23:12]
Reste à savoir si le management vous attire.
Et pour cela, une bonne connaissance de soi est importante.
Comme le rappelle Isabelle Barth, « on peut faire des carrières très très intéressantes en restant des experts ».
On peut être un excellent commercial sans devenir directeur des ventes, tout comme on peut rester expert-comptable toute sa vie sans nécessairement prendre la tête d’un cabinet.
Manager est un métier à part entière !
Le problème récurrent en entreprise, c’est que pour nommer un manager, on choisit parmi les meilleurs experts.
Or, comme nous venons de le voir, ce n’est pas du tout le même métier.
Si vous êtes le meilleur expert-comptable de votre entreprise et que vous prenez la tête du cabinet, vous ne serez plus le meilleur dans quelques mois.
Vous développez de nouvelles compétences qui sont formidables, mais qui ne sont plus celles liées à votre expertise.
« On le dit depuis plusieurs dizaines d’années mais les entreprises continuent à le faire : elles prennent les meilleurs experts pour devenir manager sans les former, comme si le management était un truc en plus qu’on viendrait poser sur l’expertise. Mais c’est faux. Il faut de la formation, il faut du temps. Et pour les experts eux-mêmes, c'est tellement dur de faire le deuil, car ils vont perdre la main sur la plupart des clients et des projets ; c’est comme passer de meilleur violoniste de l’orchestre à chef d’orchestre. »
[25:20 - 26:14]
Comme le rappelle Nicolas dans le podcast, le management est d’autant plus problématique dans les cabinets comptables que « l'expertise-comptable est un métier de technicien où on a la tête dans les dossiers et on adore ça ».
Le passage de cet aspect rationnel, scientifique des chiffres à un management basé sur la complexité et la subjectivité des émotions humaines peut donc être déroutant, et les écoles de comptabilité ne forment pas à ces pratiques.
L’importance grandissante des compétences douces (ou soft skills)
« Soft skill », un simple terme à la mode ? Pas vraiment.
Les compétences douces, généralement mentionnées sous leur patronyme anglais, « soft skills », correspondent aux compétences humaines liées à votre personnalité et à votre rapport aux autres : empathie, gestion du temps, communication, travail en équipe, adaptabilité, etc.
« Les hard skills sont les compétences métiers - le savoir-faire - et les soft skills sont des compétences douces qui sont relationnelles et personnelles. Il y a un adage très vieux qui dit qu’on embauche sur le savoir-faire et on licencie sur le savoir-être. Aujourd’hui, on se rend de plus en plus compte que les soft skills sont quelque chose de très important, notamment à des postes managériaux. Donc on attend de plus en plus de choses sur ces compétences-là, alors que dans beaucoup de filières de formations elles sont peu abordées. »
[53:21 - 54:45]
La progression des technologies d’automatisation (ex : facturation électronique) nous a fait réaliser que nous pouvons déléguer de nombreuses tâches aux machines et paradoxalement, cela redonne toute son importance à l’humain !
Nous avons demandé à Isabelle Barth de lister quelques-uns des soft skills qui, selon elle, sont les plus importants à posséder de nos jours :
- La réflexivité ;
- L’empathie ;
- La capacité à écouter l’autre ;
- L’audace ;
- Le dynamisme ;
- L’optimisme ;
- L’intelligence émotionnelle.
Pendant longtemps, les émotions n’ont pas intéressé les théoriciens du management.
Henri Fayol, l’un des précurseurs du management au début du XXe siècle, avait une vision très scientifique de la gestion d’équipe, directement inspirée de la hiérarchie dans les armées.
À cette époque, le salarié ne venait pas avec ses émotions au travail. Ou du moins c’est ce qu’on croyait.
Or, on s’est rendu très vite rendu compte qu’il était impossible de laisser ses états d’âme au vestiaire.
Un collaborateur est indissociable de ses émotions, et celles-ci impactent positivement ou négativement son travail.
Vous souvenez-vous du film du studio Disney Vice Versa ?
On y suit les péripéties d’une petite fille nommée Riley et de ses émotions, et chacune de ces émotions sont personnifiées : Joie, Tristesse, Peur, Colère… Les personnages-émotions cohabitent tous dans son cerveau et doivent apprendre à se réguler.
Lorsqu’une émotion prend possession du “tableau de bord” du cerveau, le comportement de la jeune fille s’en ressent à l’extérieur (ex : lorsque Tristesse prend le contrôle, Riley perd sa motivation et se montre abattue).
N’est-ce pas la même chose au boulot ?
Les entreprises et les managers doivent prendre en compte que le cerveau de leurs collaborateurs, à l’image de Riley, fourmille d’émotions diverses.
Qu’on le veuille ou non, ces émotions influencent certains facteurs comme la productivité et l’engagement au travail.
Ne serait-ce donc pas temps de développer la joie chez les salariés et de développer des soft skills comme l’intelligence émotionnelle et la gestion des émotions négatives ?
Que l’on soit du côté collaborateur ou manager, c’est tous ensemble qu’on doit dessiner l’entreprise de demain ✍️